En tant que femme, j’ai célébré de nombreux 8 mars à l’institution où j’œuvre depuis plus d’une quinzaine d’années. J’y ai pris part à des journées de discussion ou encore des panels au cours desquelles nous avons l’impression que nous sommes comprises de toutes. Pourtant, cette année, j’aurais tellement souhaité que le débat se fasse autour de notre quotidien, à savoir, que l’on discute de ce que nous vivons tous les jours en tant que femmes, mères, partenaires, professionnelles. Ces quatre rôles ne sont pas faciles, l’une plus complexe que l’autre. Déjà, l’on nous a appris qu’on ne nait pas femme, on le devient. Que veut dire cela ? Qui nous apprend à devenir une femme ? Le fait-on vraiment ? Je me rappelle d’une conversation que j’ai eu avec ma cousine Anne alors que nous étions toutes petites. Elle me posa toutes ces questions et tant d’autres du genre : existe-t-il des métiers que je ne peux pas exercer par le seul fait que je suis une femme ? Quelle est notre place dans cette société ? Avons-nous même une place ? Quelques années plus tard, alors qu’elle affichait déjà 29 ans d’âge, je lui demandai comment elle allait à l’occasion d’un 8 mars : Je suis fatiguée, m’a-t-elle dit.
Marie est une mère, pas n’importe quelle mère, une mère comblée. Selon elle, le regard que posent sur elle ses enfants vaut plus que de l’or. Je lui ai parlé, un 8 mars, pour ces 36 ans et elle m’a dépeint cet environnement. « Oui, je suis une mère, je suis la femme qui est responsable de tout dans la vie des enfants : des choix que fait le père, de la réussite ou de l’échec professionnel ou dans la vie de ses enfants, comme si ces derniers ont passé leur vie à porter des couches, et à être nourris à la cuillère par leur maman adorée. La mère, la femme poto-mitan dit-on. Est-ce que je suis heureuse ? Se demande – t- on comment je dors ? Comment je gère cette anxiété naturelle qui s’empare de moi lorsque je me sépare de mes enfants, qui pour moi représente le monde ? Comment je me reconnais dans ce foyer où je donne les câlins, cuisine, veille sur les habits, fais le suivi du programme scolaire, tout en donnant des leçons de vie ? je suis également épouse ou concubine, qui ai besoin d’une oreille attentive, de bons et longs bains et massages, d’une épaule pour se reposer, mais qui de préférence dois invariablement faire passer mes besoins en dernier, pour écouter le récit de la dure journée de mon partenaire ? » Moi je vous dis, que je suis fatiguée.
Sandra est une femme professionnelle, elle a 32 ans me dit-elle. Elle profite de son temps, encore seule, sans conjoint ni enfants me dit-elle, afin d’avancer dans sa carrière. Elle me dit qu’elle travaille depuis 7hres30 dans la matinée et termine très tard dans la soirée. Elle aime son travail, elle s’y retrouve, elle est assez bien payée. Dans son bureau, elle est fortunée, les hommes et les femmes sont rémunérés en fonction de poste et les salaires sont identiques…mais les privilèges, ou du moins certains, sont accordés souvent aux hommes. Elle m’a expliqué, que le paternalisme entre eux et le confort d’être avec un des leurs facilitent des rencontres hors du bureau, une camaraderie naturelle s’est installée. Sandra nous avoue que des hommes avec les mêmes capacités qu’elle mais moins performants occupent le même poste. Elle est souvent sollicitée et on la reconnait comme étant la « bosseuse » par excellence, mais selon elle, il existe dans le monde professionnel un double standard dans l’évaluation des apports des hommes et des femmes. Elle explique qu’elle doit faire deux fois plus qu’un homme pour avoir ne serait-ce que la même reconnaissance que l’on lui donne. Je me bats plus que les autres, me dit-elle, et tout cela pourquoi ? Quand je lui ai demandé son message pour le 8 mars, elle m’a répondu : « je suis fatiguée ».
Chers ami.es, et si je vous disais que ces trois femmes ne sont qu’une seule ? Que ces trois personnages vivent dans une seule personne ? Comprenez-vous le niveau de complexité des sentiments d’une femme – mère – partenaire - professionnelle en 2022 ? Comprenez – vous que je cherche la cinquième femme en moi à nos jours ? Oui, je cherche cette personne qui a su concilier ces quatre vies, celle qui a su harmoniser cette dualité en toute femme. Cette femme qui a su répondre à cette question importante : Qui suis – je et que me faut-il pour être heureuse ? Sans crainte de jugement ? Oui, car nous jugeons toutes ces femmes : Celle qui n’est pas mariée, celle qui a décidé d’arrêter sa carrière pour s’occuper de son foyer, celle pour qui la carrière passe avant tout ; celle qui a choisi de ne pas procréer. Nous les jugeons toutes, et pourtant, une partie d’elles existe en chacune de nous.
Ce 8 mars 2022 marque les 47 ans depuis la première reconnaissance par les Nations Unies de ce jour en l’honneur des droits de la femme. Ce droit que je ne suis pas sûre que nous avons, de choisir notre voie tout simplement. Le thème de cette année est de briser le biais…Mais avant de briser ce biais, il nous faut un travail sur nous-mêmes, il faut mieux nous connaitre, il faut connaitre et faire connaitre notre voix !! En ce mois de réflexions autour de la lutte pour l’émancipation de la femme, J’invite les femmes du monde, haitiennes en particulier, à se questionner sur leur bonheur et par conséquent, à travailler sur elles-mêmes pour connaitre leur moi intérieur. Car, croyez-moi, vous comprendrez mieux alors, qu’en dépit de notre courage à mener à bien tous nos combats quotidiens, qu’à un certain niveau, nous sommes toutes fatiguées.
Marie Ball
Très beau texte qui nous porte à réfléchir.